25.04.2024 -
Les critères de Maastricht, adoptés il y a plus de 30 ans, sont censés être sans équivoque. Ils stipulent que le nouvel endettement annuel maximal des États membres de l’UE ne doit pas excéder trois pour cent du produit intérieur brut (PIB) et prévoient de plafonner le ratio de la dette publique à 60 % du PIB. Mais bien souvent, les objectifs fixés sont restés lettre morte et plusieurs pays de la zone euro ont enfreint les règles à maintes reprises.
Ainsi, entre 1995 et 2023, le déficit budgétaire de la France est resté en dessous de la barre des 3 % pendant sept années seulement. Les gouvernements portugais ont quant à eux clôturé pour la première fois un exercice budgétaire avec un déficit (juste) en dessous de la barre des 3 % en 2007. Par ailleurs, désormais, dans six des États membres (la Belgique, la France, la Grèce, l’Italie, le Portugal et l’Espagne) qui représentent à eux tous plus de 40 % de la production économique de l’UE, le ratio de dette publique dépasse 100 % du PIB.
La discipline fiscale de nombreux États membres de l’UE a donc été extrêmement laxiste dans le passé. Lors de la crise du covid, les règles ont même été suspendues jusqu’à fin 2023 et leur bien-fondé a fait l’objet d’un vif débat. C’est pourquoi une nouvelle démarche a vu le jour il y a quelque temps.
Les nouvelles règles en question
En février, le moment était venu. Valdis Dombrovskis, vice-président exécutif de la Commission européenne, se félicitait de l’accord politique sur un nouveau cadre européen approuvé par le Parlement européen en avril, estimant que ces règles amélioreront la viabilité des finances publiques et favoriseront une croissance durable. Mais au vu de l’expérience des années précédentes, la question demeure : cet optimisme est-il légitime ?
À première vue, les principaux piliers restent inchangés et la réforme à venir n’affecte pas les critères de Maastricht. Pourtant, ces deux limites sont contestées sur le fond. Plusieurs voix se sont élevées pour dénoncer l’absence de fondement scientifique de ces règles. Ce qui devrait changer avec le nouveau cadre européen, c’est uniquement la manière dont le respect des seuils de dette et de déficit sera assuré à l’avenir.
1. Responsabilité nationale accrue et phases d’adaptation
À l’avenir, une « période d’ajustement » de plusieurs années sera prévue afin de ramener le niveau d’endettement d’un État membre fortement dans le rouge sur une trajectoire de baisse durable au moyen de mesures appropriées. La période d’adaptation, qui est normalement de quatre ans, pourra être prolongée de trois ans pour toute raison que le Conseil de l’UE estimera justifiée.
D’autres facteurs devraient également apporter plus de flexibilité. L’objectif est notamment de renforcer la responsabilité nationale en laissant aux États membres davantage de marge de manœuvre pour définir leurs propres trajectoires d’ajustement budgétaire et leurs engagements en matière de réformes et d’investissements. Dans ce contexte, les États membres ont également la possibilité de demander à soumettre un plan national révisé si des circonstances objectives empêchent sa mise en œuvre, par exemple en cas de changement de gouvernement.
Ces dispositions semblent problématiques, du moins à nos yeux. Le fait qu’un changement de gouvernement peut entraîner une révision du plan national prête notamment le flanc à la critique. En soi, cela semble compréhensible, mais dans le cas d’une période d’ajustement pouvant atteindre sept ans, on peut se demander combien de gouvernements seront en mesure de suivre le processus du début à la fin. En conséquence, les trajectoires convenues pourraient être soumises à une dynamique d’une intensité indésirable peu compatible avec la continuité et la sécurité de la planification. En outre, les (trop) grandes marges de manœuvre des États membres peuvent même aller à l’encontre du souhait d’une discipline budgétaire plus stricte : D’une part, on peut fondamentalement douter que les États qui ont passé outre les critères de Maastricht pendant de nombreuses années puissent être encouragés à se montrer plus disciplinés au niveau des coûts, compte tenu de leur plus grande responsabilité nationale. De l’autre, il reste à déterminer au cas par cas la validité des éventuelles planifications et prévisions pluriannuelles sur lesquelles se basent les trajectoires d’ajustement.
En effet, comme le montre l’exemple de la Grèce, les prévisions économiques pluriannuelles ne sont pas sans écueils et sont parfois très incertaines. Ainsi, la Commission européenne a pré-estimé chaque année la croissance économique de la Grèce de 2014 à 2019 dans ses évaluations automnales consécutives. Mais au final, la performance économique réelle a été inférieure de plus de 10 points de pourcentage alors même que la pandémie de covid, qui a provoqué un effondrement économique inattendu d’une ampleur historique, était encore à venir.
2. Les règles de transposition doivent être simplifiées
Les trajectoires d’ajustement pluriannuelles prévues doivent faire l’objet d’un suivi. La transposition concrète prévoit que la surveillance budgétaire se fonde sur un unique indicateur opérationnel — les dépenses primaires nettes — qui excluent notamment les charges d’intérêts dues par les pouvoirs publics. Mais ramener l’évaluation de la situation budgétaire d’un État membre à ce seul indicateur est problématique, comme l’a déjà dénoncé la Cour des comptes allemande l’an dernier.
L’exemple de l’Italie permet de comprendre pourquoi : Entre 2000 et 2019, les gouvernements italiens ont dégagé un excédent primaire (solde budgétaire avant intérêts) 18 années sur 20. Cet excédent a même été assez généreux, atteignant en moyenne 1,4 % du PIB. En revanche, après déduction des intérêts, les déficits budgétaires nets s’élevaient en moyenne à environ 3 % du PIB. Ramener le contrôle budgétaire à un indicateur qui exclut les charges d’intérêt, très importantes, ne permet donc pas d’avoir une vision globale des finances publiques.
3. Les obligations de déclaration et les procédures de déficit excessif doivent faciliter la transposition.
Mais à quoi servent les règles si personne ne les applique ? C’est la question décisive que doit se poser la Commission européenne, les critères de Maastricht ayant eu peu d’effet contraignant par le passé. Pour aller de l’avant, deux mesures devraient contribuer à un meilleur respect des règles. D’une part, les États membres concernés sont tenus de présenter un rapport annuel sur leurs progrès dans la mise en œuvre des engagements pris. De l’autre, la Commission mettra en place un « compte de contrôle » destiné à enregistrer les écarts par rapport à la trajectoire budgétaire convenue. Si le solde de ce compte de contrôle dépasse un seuil chiffré et que la dette de l’État membre est supérieure à 60 % du PIB, la Commission établira un rapport évaluant s’il y a lieu d’engager une procédure pour déficit excessif. Dans les cas extrêmes, une telle procédure peut donner lieu à des pénalités.
La tentative de recourir à la procédure de déficit excessif pour imposer la discipline n’est pas neuve ; mais jusqu’à présent, la volonté politique pour l’appliquer et imposer des pénalités afin d’exiger le respect des critères de Maastricht a toujours fait défaut. Pourquoi cela changerait-il dans l’avenir ?
D’autant que la Commission dispose d’une grande liberté pour évaluer le caractère excessif d’un déficit. Par exemple, les investissements publics peuvent peser de manière positive dans l’évaluation : ainsi, toutes les dépenses nationales liées au cofinancement de programmes subventionnés par l’UE seront exclues du calcul des dépenses d’un gouvernement, ce qui devrait encourager les investissements. De même, si la situation budgétaire ne s’améliore pas pour de « bonnes » raisons, par exemple suite à des investissements dans la défense et l’aide militaire ou pour développer les énergies renouvelables, la Commission peut fermer les yeux malgré un déficit trop élevé.
Enfin, une procédure pour déficit excessif peut s’avérer politiquement inquiétante. Par exemple, quel serait l’impact des sanctions financières sur une France en déficit chronique qui, avec environ 10 milliards d’euros, était le deuxième contributeur net parmi les États membres en 2022 ? Les détracteurs de l’UE en France y trouveraient leur compte si une institution au financement de laquelle les contribuables français participent amplement imposait des pénalités à ces mêmes contribuables. Ici encore, on est face à un dilemme persistant.
Des charges aggravantes pour la consolidation
Le cadre récemment publié concernant les nouvelles règles budgétaires de l’UE soulève donc de nombreuses questions. Pour ce qui est de l’avenir, on peut s’attendre à voir les charges financières des États augmenter plutôt que diminuer, ce qui complique l’assainissement des finances publiques.
Bon nombre des États membres de l’UE doivent s’attendre à une augmentation parfois importante de la charge démographique : En Allemagne, on estime que le nombre de personnes en âge de travailler (15 à 64 ans) diminuera d’environ 10 % d’ici 2035. En Italie, ce reflux pourrait même atteindre 13 pour cent. La hausse des dépenses sociales résultant de la nette augmentation des prestations de retraite pourrait donc se heurter à une pénurie de main-d’œuvre qualifiée de plus en plus importante. De plus, la guerre en Ukraine a remis en question l’architecture de la sécurité en Europe et devrait nécessiter des dépenses plus élevées sur le long terme. Ainsi, l’objectif de l’OTAN, qui prévoit des dépenses annuelles de défense à hauteur de deux pour cent du PIB, est désormais perçu comme beaucoup plus contraignant qu’il y a quelques années.
Le nouveau cadre de l’UE n’est pas un franc succès
On peut donc dire que les efforts de l’UE visant à réviser les règles fiscales et à les faire appliquer de manière crédible sont en principe louables. En effet, c’est précisément en période de hausse des taux d’intérêt que l’ampleur des dettes publiques restreint à nouveau plus sérieusement la capacité d’action financière de la politique budgétaire. Mais cette chance semble compromise.
En effet, les nouvelles règles budgétaires ne sont pas un franc succès. Des marges d’appréciation considérables alimentent les doutes quant au respect durable et crédible des critères de Maastricht. Combinés à l’augmentation prévisible des charges, la limite des trois pour cent de déficit et l’objectif d’un taux d’endettement de 60 pour cent du PIB pourraient bien, eux aussi, rester lettre morte.
Alors, que nous réserve l’avenir ? Dans tous les cas, la consolidation souhaitée des finances publiques reste des plus incertaines. Il est difficile de savoir dans quelle mesure des incitations à la réforme sont effectivement créées et dans quelle mesure une priorisation des dépenses publiques peut aboutir. Si les critères de Maastricht restent lettre morte, les banques centrales assumeront (ou devront assumer), à la longue, un rôle de sparring-partners épaulant des États fortement endettés. Elles seules sont en mesure d’assurer la viabilité de la dette des États membres grâce à des taux d’intérêt réels faibles — et ce en dépit de dettes colossales.
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