"La perturbation est importante et durable"

La guerre en Ukraine s'aggrave – et l'Occident réagit par de nouvelles sanctions. Un entretien avec Agnieszka Gehringer, Senior Research Analyst chez Flossbach von Storch Research Institute, sur les perspectives économiques de la Russie. 

Madame Gehringer, la guerre d'agression menée par la Russie contre l'Ukraine dure maintenant depuis plus de sept mois – et aucune fin n'est en vue. L'Occident réagit par des sanctions économiques massives. Ces mesures sont-elles efficaces ? 

Agnieszka Gehringer : Les sanctions prises jusqu'à présent ont certes été moins efficaces que ne l'espéraient les Etats-Unis, l'Europe et leurs alliés, mais elles ont un impact bien plus important que ne le prétend le Kremlin. Mais ce qui est sûr, c'est que la Russie a perdu un certain nombre de ses principaux partenaires commerciaux – et cela ne devrait pas changer de sitôt. 

Le gouvernement russe cherche de nouveaux partenaires en Asie. La Chine s'y prête bien... 

... et ce depuis de nombreuses années déjà. La part des exportations russes vers la Chine par rapport à l'ensemble des exportations russes a nettement augmenté, passant de sept pour cent en 2012 à 14 pour cent en 2021. La part des importations russes en provenance de Chine dans le total des importations russes a également augmenté, passant de 16 pour cent en 2012 à 25 pour cent en 2021.  

La Russie devient-elle aussi plus pertinente pour la Chine ? 

Eh bien, malgré ces augmentations, les échanges de biens et de services avec la Russie ne représentaient que 2,8 % du commerce total de la Chine en 2021. Même s'il y a un potentiel d'augmentation, il s'agit plutôt d'un chiffre arrondi.  

Quel était le volume des échanges commerciaux de la Russie avec l'Occident ? 

Avant la guerre, les dix principales destinations d'exportation de la Russie, dont les Pays-Bas, l'Allemagne, le Royaume-Uni, l'Italie, les États-Unis et la République de Corée, représentaient environ 30 % du total des exportations russes. La guerre d'Ukraine a ensuite provoqué des bouleversements sismiques dont les conséquences devraient être durables et de plus en plus visibles dans les années à venir.  

Donnez-nous des exemples, s'il vous plaît. 

Prenons l'exemple de l'Allemagne. Alors qu'en janvier et février 2022, les exportations allemandes vers la Russie étaient encore supérieures au niveau des mois correspondants de la moyenne des années 2018 à 2021, elles se sont ensuite effondrées de près de 56 pour cent. Et l'Occident a déjà annoncé de nouvelles sanctions.  

Les importations en provenance de Russie ne se sont toutefois pas encore effondrées dans une mesure comparable, ... 

... ce qui est dû à la hausse massive des prix de l'énergie. L'Allemagne souhaite toutefois dire adieu à sa dépendance vis-à-vis des importations d'énergie russe et la Russie ne fournit plus de gaz. Cette tendance est donc également à la baisse. Près de 80 pour cent des importations allemandes en provenance de Russie sont des combustibles minéraux, pour lesquels la Russie a récemment décrété un arrêt des livraisons. La perturbation des relations commerciales bilatérales entre la Russie et l'Allemagne est importante et sera durable.  

La Chine peut-elle combler ces lacunes ? 

C'est là que les exportations russes ont connu la plus forte croissance. Entre mai et juillet 2022, l'augmentation était en moyenne de 52 pour cent par rapport à la moyenne des années 2018 à 2021. Cela était surtout dû aux livraisons de pétrole et de charbon. A l'avenir, il est prévu d'exporter également plus de gaz. Il n'est toutefois pas certain que cela puisse absorber les livraisons de gaz vers l'Europe qui ne sont plus assurées.  

Le plan de Poutine visant à remplacer rapidement l'Occident par de nouveaux partenaires comme la Chine fonctionne-t-il ? 

Cela ne devrait pas être possible, même à long terme. On peut en outre se demander si la Chine ou l'Inde soutiendraient une nouvelle escalade de la guerre russe en Ukraine. Dernièrement, des critiques ont été émises de ce côté et à cet égard. Pour la Chine et l'Inde, le soutien de la Russie signifie un risque croissant de négliger leurs propres intérêts économiques. Le soutien militaire et technologique de la Russie, en particulier, pourrait entraîner des sanctions occidentales à leur encontre.  

L'Occident est un marché bien plus important que la Russie. 

Pékin et New Delhi ont jusqu'à présent soigneusement évité d'enfreindre les sanctions que l'Occident a imposées à la Russie. Cela montre qu'ils ont besoin de capitaux et de technologies occidentaux pour soutenir la poursuite de leur développement à l'intérieur et à l'extérieur du pays. Les deux puissances asiatiques vont donc probablement essayer de garder leurs options ouvertes le plus longtemps possible.  

Poutine deviendra-t-il un partenaire junior de Xi ? 

Il y a bien sûr quelques incertitudes quant à ce que l'avenir nous réserve. Pour la Russie, la dépendance croissante vis-à-vis de la Chine et la domination persistante de Pékin dans les relations bilatérales devraient accroître les risques économiques pour l'économie russe. Du moins si les intérêts chinois  pour quelque raison que ce soit – devaient un jour se retourner contre la Russie. Mais comme la Russie a davantage besoin de la Chine que l'inverse, Moscou sera plus enclin que Pékin à considérer cette amitié comme « sans frontières ». 

Merci beaucoup pour cet entretien !

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